6 – L’escalier de la vie

Inutile de s’attarder outre mesure. Il ne prenait ni le temps de retirer ses affaires dans le vestibule, ni de bavasser sur sa journée, et s’assurait surtout de sauter une marche sur trois pour rejoindre son cocon au plus vite. Après 24 ans de vie dans cette demeure, il y avait probablement encore nombre de marches qu’il n’avait jamais foulées. Il aimait d’ailleurs imaginer des escaliers avec de plus grandes marches, tant il était inutile de rythmer son périple d’autant d’étapes superflues. En fait, c’était un peu l’histoire de sa vie, d’espérer des escaliers avec de plus grandes marches. Tout allait toujours trop lentement, tout demandait toujours trop de temps. Les marches de l’escalier étaient à ses vieux parents ce que les heures de classes étaient à ses camarades, utiles, mais trop nombreuses et trop faciles à gravir pour lui.

Sa chambre, tout de même, ce ne pouvait être que chez lui. Chaque parcelle des 14 m² qui lui avait été attribué, tel un droit de naissance pour lequel il se savait chanceux, reflétait l’homme qu’il était. Celui, un tant soit peu observateur et disposé à observer, qui entrait dans son havre de paix, pouvait tout apprendre de lui. Les photos, accrochées au mur, relataient l’importance qu’il portait à sa famille ainsi qu’à ses amis. Il avait pris soin que le nombre d’occurrence de chaque personne dans l’histoire que narraient ces images, soit proportionnel à l’affection qu’il lui portait. Ses liens interpersonnels, tout comme le reste, étaient hiérarchisés de manière scrupuleuse. Pour lui, ce fonctionnement était une évidence, et il espérait secrètement que son entourage fasse de même, et qu’il soit placé en haut de certaines pyramides voisines. À cette place seulement, l’idée de dévouement pouvait alors être entraperçue. Chez les barreaux inférieurs, il ne fallait chercher selon lui que du plaisir et du profit. Aussi, il était convaincu qu’une relation ne pouvait être saine que lorsque les deux individus représentaient la même valeur dans la tête et dans le cœur des deux corps. Malheureusement, cela n’arrive que très rarement, et c’est ce qui, à son sens, crée des conflits.