4 – L’accomplissement de soi

L’accomplissement de soi était, de fait, le seul objectif qu’il lui restait. Ce n’était pas un hasard si, dans son milieu, la question la plus fréquemment posée aux enfants était « que voudrais-tu faire comme métier plus tard » ? Il fallait désormais qu’il « réussisse » sa vie. Mais l’idée de réussite dans la vie, encore une fois, lui posait question. Il lui semblait que réussir, dans l’inconscient collectif, était en fait l’idée de parvenir à entrer dans les standards. En amour, il s’agissait de construire un couple, peut-être se marier, et avoir des enfants. Pour le travail, il fallait trouver un emploi, qui paye convenablement, et permet de prospérer. Or, sa conception à lui de la réussite, bien que l’on ne lui soupçonnait guère une telle ambition, était bien au-delà du simple fait de se fondre dans les normes. Il n’était en quête que d’une seule chose, si simple à formuler, si facile à concevoir, et de réputation si accessible : le bonheur. Telle était sa mission, et il ne se penchera sur les sujets d’amour et de travail qu’à travers l’unique prisme de son accomplissement. La plupart des gens qu’il connaissait avaient atteint ces deux chimères, ou luttaient corps et âme pour y parvenir, et pensaient ainsi avoir compris comment gagner le jeu de la vie. L’expression « gagner sa vie », utilisée si fréquemment pour désigner « gagner de l’argent », en disait long. Ils se trompaient, car ils oubliaient l’essentiel, la finalité, et se focalisaient sur ce qui ne devrait être que des moyens.

Deux chemins, bien différents l’un de l’autre, pouvaient le mener à son but ultime : la simplicité ou l’extraordinaire. Il avait pour lui un positivisme rare qui l’amenait à apprécier au plus haut point possible tout ce que la vie lui proposait d’appréciable. Il savait aussi tourner des situations dites mauvaises en autant d’opportunités ouvrant sur un meilleur avenir. Ainsi, il avait le bagage requis pour choisir le premier sentier, celui de la simplicité. Le principal obstacle sur cette route, était le « beau », duquel il fallait souvent parvenir à se dédouaner. Tout élément devait être traité de par sa valeur la plus fondamentale, celle rattachée au besoin qu’il permet de satisfaire. Dans ce schéma, le pratique est loué bien avant l’élégant. C’est l’allée de la sobriété, ce raccourci si efficace vers le bonheur, puisqu’il évite les détours du « trop » et se focalise sur le nécessaire. Celle-ci appartient aux êtres rationnels, capables de pragmatisme intraitable en toute circonstance. Ilyas faisait partie de cette communauté, et encore une fois, il considérait cela comme une chance.

Pour l’autre voie, celle de l’extraordinaire, il ne désespérait pas de l’emprunter un jour. En vérité, s’il devait parier, il pensait que c’était dans cette direction que son futur allait prendre un tournant, tôt ou tard, mais il en ignorait la raison. Il souhaitait un grand avenir, et l’attendait avec une rare sérénité, sans jamais se demander si un grand avenir souhaitait de lui. Pour y parvenir, il offrait à la vie de petites ouvertures en lançant divers projets, rarement aboutis, mais qui nourrissaient l’éventualité de se laisser un jour emporter dans un destin hors des normes. Le fait que son ambition soit celle qu’elle était, les objectifs habituels d’autrui, ceux qui motivaient son entourage, lui paraissaient superflus. Il n’y portait que peu d’intérêt, les traitant dans le meilleur des cas comme une première étape d’un long chemin, si ce n’était pas une étape inutile. Cette logique étant incompréhensible pour ses proches, ils interprétaient sa gestion de vie comme de la feignantise, de l’incapacité, ou même, paradoxalement, comme du manque d’ambition.