2 – Le prêt à porter d'assurance

Ilyas, qui gardait donc les yeux bien ouverts, l’observa un moment pour déceler des indices avant de l’approcher. Évidemment, elle ne le regardait pas en retour et, pire, elle ne laissait rien paraître. Elle écoutait ses amies et ne prononçait pas un mot, plongée dans leurs récits. Il aurait aimé qu’Elle pose les yeux sur lui, rien qu’une seconde, et qu’Elle le surprenne à la scruter. Cela l’aurait forcé à approcher. Tant qu’elle ne le faisait pas, Ilyas envisageait encore la possibilité de ne pas s’avancer. Il croisa son regard, sûrement par hasard, mais il sentit une poussée dans son dos qui le força à faire le premier pas. Une fois la marche enclenchée, il n’y avait pas de retour possible. Il était à bord d’un train lancé sur ses rails. Les impacts réguliers d’épaules contre ses bras subsistaient comme le seul indice d’une autre trace de vie dans la pièce. Les yeux de la jeune fille étaient désormais braqués sur lui, comme si Elle essayait de le dissuader de la mauvaise idée qu’il s’apprêtait à entreprendre. Il était trop tard. « Quel âge as-tu ? » risqua-t-il timidement. Il aimait cette approche originale mais compréhensible, directe mais innocente, déguisement prêt à porter d’assurance dont il manquait. « 27. » répondit-elle, presque instantanément, sans une once d’hésitation, et comme ayant littéralement prononcé le point qui clôturait ce qui ne pouvait même pas se vanter d’être une phrase. « 3 ans de plus que moi », songea-t-il, comme rassuré de trouver si vite une raison valable de s’échapper de cette mission. Après tout, il n’était pas venu ici pour s’exposer aux coups de fouet. Il avait fait son devoir, mais cette différence d’âge lui donnait un motif suffisant pour abandonner son poste. Désormais, il n’allait faire que diriger subtilement la discussion vers son terme, par pure politesse, pour retourner à ses occupations. Durant ces derniers instants d’échange, il remarqua qu’Elle fit mine qu’il ne l’avait pas dérangé, et lui fut reconnaissant pour cela. Elle était probablement gentille, ou, au pire, apitoyée, mais certainement pas méchante.