4 – L’intérêt véritable et l’intérêt apparent

Son réveil sonna une première fois. Elle avait pour habitude de s’accorder une dizaine de minutes de sommeil supplémentaires, après lesquelles elle avait programmé une nouvelle et dernière alarme. Son réveil sonna une seconde fois et elle se réveilla encore plus fatiguée. Elle l’éteignit et, comme tous les matins, elle se maudit de ne pas s’être levé la première fois. Elle s’assit au bord de son lit, et réfléchit à cette drôle d’habitude tout en retirant son corset. Au bout du compte, elle cédait d’abord à son intérêt apparent, puis s’inclinait devant son intérêt véritable lorsque celui-ci se faisait trop pressant. En faisant ainsi, elle s’infligeait de renoncer à un intérêt apparent encore plus grand, et de commencer sa journée dans de bien mauvaises dispositions. « L’intérêt apparent » était le nom qu’elle donnait à tout ce qu’elle avait envie de faire dans l’immédiat et qui, dans un très court terme, était souvent de loin ce qui lui procurerait le plus de plaisir. Il pouvait s’agir par exemple de manger une sucrerie, de jouer à un jeu peu instructif, ou encore, dans le cas présent, de repousser son réveil. « L’intérêt véritable », en revanche, était tout ce qu’elle n’avait pas nécessairement envie de réaliser dans l’immédiat, mais qui lui apporterait le plus de satisfaction sur le long terme. Bien-sûr, théoriquement, l’atteinte de l’intérêt véritable constituait un bonheur bien plus puissant et durable que la succession de plaisirs apparents. Il s’agissait, par exemple, de faire du sport, de lire des livres, ou encore, dans le cas présent, de se lever à l’heure. Elle savait qu’elle tirait ces concepts des cours de philosophie qu’elle avait suivi au lycée, sans réussir à se souvenir du philosophe en particulier qui les avait exposés ni des termes exacts qu’il avait employés. Ces deux intérêts n’étaient pas toujours incompatibles. Dans la mesure du possible, Éloïse privilégiait les situations qui alliaient les deux plaisirs, comme de faire du sport en s’amusant ou de lire des livres aussi prenants qu’enrichissants. En l’occurrence, il aurait fallu faire un choix tranché et se lever, mais cela lui avait semblé insurmontable.