15 – Écopage

Éloïse fut subitement expulsée d’une histoire dans laquelle elle était plongée comme dans une réalité. Elle comprit qu’elle n’en saurait pas davantage aujourd’hui. Elle leva la tête, et découvrit le décor qui l’entourait. Elle s’avachit contre le dossier de son fauteuil, et remarqua les nombreuses photographies accrochées aux murs. Les muscles de son visage se détendirent lentement. Chaque mot du récit avait constitué un obstacle à surmonter pour Claude, et Éloïse avait dû faire un effort d’écoute constant. Un long soupir s’échappa du vieil homme, et ses épaules s’abaissèrent un peu plus qu’elles ne l’étaient déjà. « Claude ? » demanda timidement la jeune fille. Elle n’obtint qu’un second long soupir en guise de réponse. Il s’était endormi. Éloïse espérait que son monologue ne lui avait pas demandé trop d’application. Elle lui secoua gentiment l’épaule « Claude, vous vous endormez, allez donc vous coucher ». Il ouvrit les yeux, et poussa péniblement sur les accoudoirs de son fauteuil pour se relever. Il se dirigea lentement vers l’escalier qui se trouvait au bout du couloir de l’entrée, à gauche en sortant de la pièce. Ses pieds traînaient contre le sol. « À demain, dit-il en débutant l’escalade des marches, claque la porte en sortant. – À demain » répondit Éloïse. Le rendez-vous était pris comme s’ils partageaient l’habitude de se voir quotidiennement.

Les grincements des marches s’éloignèrent doucement, et Éloïse se retrouva seule dans la grande maison silencieuse. Dehors, la nuit arrivait à grands pas. Elle remarqua l’assiette de biscuits restée intacte, à côté des deux verres qui eux avaient été entièrement consommés. Elle laissa l’assiette, mais prit les verres, et les rapporta à la cuisine. Elle tourna le robinet de l’évier rempli de vaisselle sale pour rincer les verres. Elle chercha un torchon pour les essuyer, mais le seul qu’elle trouva était celui recouvert de poussière que Claude avait utilisé précédemment. Elle chercha donc un endroit pour les laisser sécher, mais tout ce qu’elle trouva fut un séchoir recouvert de crasse, dans lequel était entreposé des couverts dans le même état. Elle décida de nettoyer le séchoir, puis les couverts, puis tout ce qui se trouvait dans l’évier. De toute façon, si elle rentrait chez elle, elle n’allait être bonne qu’à songer à l’histoire de Claude. Elle choisit d’occuper ses mains à une cause utile, tandis qu’elle ne voyait pas le temps passer, plongée dans ses réflexions au sujet de son propriétaire. Elle ramassa l’assiette cassée, sortit la poubelle, la remplaça par nouveau sac, qu’elle remplit des déchets restants. Elle passa un coup d’éponge sur la cuisinière et les plans de travail, ainsi qu’un coup de balais sur le sol. La pièce était méconnaissable. La nuit était tombée et il était temps de rentrer. Elle claqua la porte en sortant, et descendit les marches qui la séparaient de sa partie de la maison. En quelque pas, elle rejoignait le monde réel et connu. Elle avait l’impression de rentrer d’une destination lointaine, après un voyage qui avait duré plusieurs années. Elle fut surprise de ne pas trouver sa mère chez elle. Elle regarda l’heure, il n’était pas si tard. Elle cuisina un repas rapide, laissa une assiette à sa mère, et partit se coucher, impatiente d’être le lendemain.