1 – L’indiscrétion du subconscient

Que pouvait-il bien attendre ? Jamais Éloïse n’avait remarqué un homme qui lui plaisait autant. Non pas qu’il était particulièrement beau, selon les critères se voulant universels, mais il lui plaisait, à elle. Elle ne voyait dans la beauté des Hommes aucun rapport hiérarchique, selon lequel une personne serait plus belle qu’une autre, qui elle-même serait moins belle qu’une autre. Elle préférait conceptualiser la beauté comme un aspect trop subjectif pour y appliquer un quelconque critère de classement. Elle se savait utopiste sur ce point, mais dans ses pensées les plus romantiques, l’idée que chaque personne de ce monde possède son âme sœur quelque part lui plaisait beaucoup. Comme lui. Éloïse savait l’excitation qu’il devait développer, à cet instant précis, avant de venir lui parler. Elle se disait aussi qu’il attendait probablement volontairement pour qu’elle développe cette même excitation. Elle ne l’aurait jamais clamé, car elle était une personne profondément modeste, mais force était de constater que les hommes finissaient toujours par l’approcher. Tout en faisant mine d’écouter les récits trop banals de ses amis, elle le guettait du coin de l’œil. Il faisait de même, tel un fauve en embuscade. Elle projetait déjà sur lui ses premières hypothèses quant à son tempérament. Un diaporama d’images défilait sur la toile blanche et immaculée qu’était encore son corps. Éloquent, sûr de lui, peut-être intelligent, assurément dragueur. Voilà le portrait qu’elle lui attribuait, son instinct faisant foi, sans aucun élément rationnel.

L’attente se faisait longue, mais son assurance à l’égard de son issue n’en subissait aucune conséquence. Persuadée d’être épiée, Éloïse se surprit elle-même à repenser et modifier l’ensemble de son comportement. Le regard du jeune homme pesait contre elle, même quand il ne la regardait pas, et elle le voyait, même quand elle ne le regardait pas. Il influait sur elle malgré lui, appliquant puissamment son charme sur sa personnalité, marquant de son empreinte inconnue tout ce qui la constituait. Chacun de ses gestes, tout ce qu’elle faisait habituellement si bien sans y penser, était désormais réfléchi. Son subconscient jugeait dorénavant bon de lui dicter à voix haute ce qu’elle devait faire ou ne pas faire. Comment faudrait-il sourire ? Comment devrait-elle rire ? Comment faudrait-il se tenir ? Toutes ces questions jusqu’alors inabordées déferlaient maintenant sur elle. Pire, elle ne savait même plus comment rester sans rien faire. Tout devait être réappris. Les mouvements de son bras pour apporter son verre à ses lèvres étaient si imprécis, qu’elle manqua à plusieurs reprises de tacher sa robe. Elle ne parvenait plus à suivre la conversation de ses amis, reléguée au stade de lointains chuchotements, imperceptibles face au brouhaha de ses réflexions. Elle tanguait, cachant tant bien que mal son embarras, bousculée par cet étranger dont le seul tort était d’être présent.